- celle de l'entrée dans le cycle 2, cycle des apprentissages instrumentaux, qui situe l'école maternelle comme maillon d'un système. L'articulation essentielle entre une pédagogie d'exploration et de découverte, et une pédagogie qui s'attache à établir des compétences instrumentales devient essentielle : elle est peu lisible dans les discours actuels. Entrée et non anticipation à la " grande école " : Pauline Kergomard regrettait que l'on fasse de l'école maternelle une école " préparatoire au primaire " : " il s'agissait de donner de bonnes habitudes intellectuelles, comme on leur a donné de bonnes habitudes matérielles et de bonnes habitudes morales, et voilà que le temps se passe à déposer dans leur mémoire un véritable fouillis de notions qui étouffent un germe précieux de réflexion, de jugement et surtout de curiosité " . A la lisière de l'école et de la construction d'apprentissages instrumentaux, l'école maternelle à toujours été le sujet d'une tentation : anticiper, " faire avant ", avant l'heure. Dans les préoccupations actuelles de mise en place des cycles, du rôle central des apprentissages fondamentaux (cycle 2), l'école maternelle semble n'apparaître que sous ce statut préparatoire. Si l'entrée dans le cycle 2 s'inscrit dans une articulation nécessaire, la scolarisation précoce, l'école avant l'école, doit garder leur projet propre d'école première. Celui-ci est à resituer, non comme une remédiation, mais comme un véritable projet de construction.

La maternelle : une école à (re ?) construire
L'école maternelle est d'abord celle du lien entre les cultures et les éducations des familles, sorte d'école de l'entre-deux. La synergie entre l'école maternelle, l'école et la famille est indispensable à la réalisation d'un projet complexe qui s'appuie autant sur le lien social que sur le développement de l'enfant et sa formation. Il faut faire bénéficier l'enfant du renfort des trois constructions, de l'enfance, du social et du culturel, du savoir enfin, en rendant l'enfant disponible à ce savoir. Aller vers l'enfant, offrir l'école à l'enfant, telle est le premier rôle de l'école : " la véritable éducation nouvelle, écrivait Maria Montessori, consiste à aller tout d'abord à la découverte de l'enfant et à réaliser sa libération " . Faire de l'école première une école à part entière, fondatrice et maternelle (car matrice de la construction personnelle et sociale) et non un simple école préparatoire, suppose une redécouverte de l'école maternelle d'aujourd'hui. Plusieurs chantiers sont ouverts, et, parmi ceux-ci :

- celui de la citoyenneté : la prise en charge précoce du jeune enfant à l'extérieur de la famille doit répondre à l'exigence d'un véritable projet de coéducation dans un partenariat local et non d'une position de déficience ou de dépossession. Au-delà du clivage traditionnel entre l'affectif (l'accompagnement de la relation) et les apprentissages, c'est une pédagogie de l'appartenance culturelle et sociale que doit réaliser l'école maternelle, celle d'une première citoyenneté liée par cette coéducation. Dans une socialité élargie, une éducation partenariale organisée, l'école est aussi une expérience pour les parents, un lien civique. C'est un des chantiers actuels que de développer l' " école des parents " : aussi la maternelle constitue t-elle un terrain d'action à privilégier.
- celui d'une intégration significative des savoirs à l'expérience, la réalité d'un lieu où les enfants " vivent " à travers leur expérience et celle des autres, des activités de découverte, tissant ainsi un lien fondateur avec les " instruments pour apprendre. " Il s'agit de faire découvrir et non d'inculquer. A l'usage des faits, entrer dans une classe d'une école maternelle, où l'enfant ne s'ennuie pas, trouve une existence. Cela suppose, comme le demandait Maria Montessori, la découverte de l'enfant. Rappelons que le rapport au savoir est rapport à un processus, mettant en jeu une identité, une image de soi, un ensemble de pratiques dans le monde, de représentations et d'une histoire pour chacun et non une accumulation.
- celui des compétences de base. L'accent actuel mis sur le rôle central de la langue peut être mal compris : si le texte de 1999 (déjà cité) situe bien le rôle des langages (" l'école de la parole " et non de la seule langue), certains éléments donnés, comme celui la place de l'oral, donnent à penser que la maîtrise de la langue doit en être entreprise et assurée dès l'école maternelle. Il faut redonner (et préciser d'abord) les domaines et la nature des apprentissages premiers, rappeler qu'il faut " donner du temps au temps ", sinon à ne pas produire ce socle commun. L'école maternelle a le projet d'apporter une approche coordonnée des fondements : habiletés motrices, perceptives, activités intégrant les aspects affectifs, sensoriels, symboliques et représentatifs des apprentissages, pratiques de la chaîne parlé, du récit, etc.., toutes expériences riches qui permettent à l'enfant de se développer en agissant. Le " langage ", tel qu'il est désigné à l'école maternelle n'est pas une discipline, c'est une fonction que l'on doit d'abord fonder, puis exercer dans un long et difficile apprentissage. De nouvelles logiques, essentiellement autour de la langue orale et écrite, renforcent le rôle de l'école maternelle dans les apprentissages premiers ; elles ne doivent pas ôter à l'école maternelle le sens qu'elle donne à ces apprentissages.
- celui d'un espace et d'un mode de vie, d'un projet porteur de significations qui permette à l'enfant de découvrir, de prendre conscience des modèles de la vie sociale, intellectuelle et de tous les rôles qui seront à construire, car identifier et anticiper sont les moteurs du développement. L'école maternelle est celle qui donne à grandir et à voir, miroir cognitif, qui permet aussi bien de se représenter sa place dans le monde (sous les registres aussi divers que ceux de l'imaginaire, du quotidien, de la communication écrite et orale, des instruments de la culture et du savoir) qu'à exercer sa capacité à apprendre. Bruner soulignait que " l'enfant dépend d'abord de la conscience d'autrui jusqu'à ce qu'il devienne capable de représenter ses propres actions à l'aide d'un système de signes ". Entre mode de vie et apprentissage, se situe ce milieu pour apprendre (auquel Maria Montessori délègue le rôle essentiel), qui n'est pas la somme de séquences formelles, mais un lieu de culture où le maître agit, au seuil de l'intervention, aidant l'enfant à agir seul, en lui proposant l'espace mental de la découverte dans des situations structurées, dans une visée toujours positive de sa capacité à apprendre.
- celui de la compréhension de la société, de ses messages et des outils d'apprentissages, pour établir un lien entre l'apprentissage et un monde qu'il côtoie. C'est pour cela que l'école maternelle doit s'emparer des techniques d'information et de communication (T.I.C.), sinon à rompre le lien de sens entre école et non-école.
Une nouvelle école première
Elle se conçoit à partir d'une approche renouvelée du principe d'école : prise en compte de la complexité, et des dimensions contradictoires en regard du vécu de l'enfant. Cela suppose d'oser poser la question : l'école maternelle est-elle une école, ou un simple lieu de passage, et qu'est-ce qu'une école ? De la schole, lieu de repos, l'école maternelle retient le principe de gîte et de repos (asile). Elle retient celui de lien social entre les âges et les milieux sociaux. Car, à la dimension de recrutement des " écoles à tricoter ", des jardins d'enfant, des " salles d'asile " ancêtres de l'école maternelle pour les mères au travail, s'ajoutent, en se complexifiant, les apports nécessaires et différenciés aux enfants de toutes les classes sociales . Les instructions de 1986 en font une école à part entière, articulant scolarisation, socialisation et développement, lui reconnaissant le statut partagé d'un lieu d'éducation et d'instruction. Celles de 1995 renforcent cette idée en rattachant les différents domaines d'activité aux apprentissages premiers. La pluralité de ces logiques d'école (cf. supra) tisse pour les enfants un ensemble dynamique d'expériences. Les différents modèles théoriques et historiques témoignent du tuilage des fonctions de l'école maternelle. De ses déterminations protectrices (lutte contre la maltraitance, détection et prévention), et constructives, (accueil, apprentissages premiers, relations école- famille), naît l'idée d'un enjeu et d'une cause (au double sens d'efficience et de soutien) : se dessine le projet d' " école éducatrice " (Kergomard ), celui d'une institution humaine dans sa complexité, école d'appartenance. On peut s'interroger sur l'attention ou le regard qui lui est réellement porté dans les consultations et réflexions actuelles sur l'école : n'est-on pas, malgré, les affirmations, en train d'oublier l'école maternelle ? l'Instruction du 8 octobre 1999 énonce, sous l'intitulé " L'école de tous les possibles ", qu'elle peut être " Reconnue pour sa créativité pédagogique, école de plein exercice ; la maternelle constitue le socle éducatif sur lequel s'érige les pratiques les apprentissages systématiques de l'école élémentaire ". Affirmée comme première étape de la réussite scolaire, lieu de prévention de l'échec précoce et de la démobilisation scolaire, cette reconnaissance de plein droit donne à celle-ci un rôle nouveau de fondation du cursus scolaire. En cela les enseignants , les parents, tous ceux que concerne cette école ont besoin d'un message clair concernant la place renouvelée de l'école maternelle, et les moyens que l'on y consacre . L'école maternelle a également besoin de la reconnaissance entretenue, du renouement avec un débat sur une école première. Pour que cette " petite " école, devienne école première et fondatrice, beaucoup de dimensions doivent concourir : un équilibre partenarial, des pratiques à réinventer, l'organisation intégrée de la tri polarité : éduquer, apprendre et scolariser, mais aussi un milieu éducatif et scolaire original, lieu de vie et de découverte du lien humain et social.
Afin que les élèves réussissent, il faut réussir l'école maternelle. Elle doit permette à l'enfant de construire une représentation de l'école fondée sur le désir d'apprendre, une représentation de sa réussite à l'école : c'est un pari, par l'école. C'est sur cette école " d'en bas" que l'on doit s'appuyer pour prévenir la non-éducation : abandon, démobilisation, intégration, violence.... Dans sa réalisation, l'école maternelle a besoin, à travers de nouveaux programmes, de reconnaissance, d'inflexion des pratiques permettant aux élèves de tous les milieux d'accéder aux modes réels du travail scolaire, outil de leur propre réussite. L'école maternelle est ainsi une école forte, école première autant que première école, mais à faible visibilité : pour cela on peut changer l'école maternelle en entretenant le débat, pour la comprendre et la faire.

10 On se reportera aux travaux d'Agnès Florin, Suzelle Leclerc, Suzy Cohen, etc..
11 Cf. Gérard Chauveau, L'école Maternelle et les milieux populaires, in Comment réussir en ZEP,Retz,2000.
12 " Ce n'est pas une école " dira Pauline Kergomard.
13 BO n°8 du 21 octobre 1999
14 On pensera notamment à la formation des professeurs des écoles
15 Très souvent elle n'apparaît pas prioritaire en matière de T.I.C : oublie-t-on l'école maternelle ?